[Focus] Affaire Renault Zoé : une marque peut-elle s'approprier un prénom ?

Ces derniers temps, et particulièrement depuis le Mondial de l'Automobile il y a quelques semaines, la presse s'est faite écho de ce qu'il convient d'appeler aujourd'hui "l'affaire Zoé Renault".
Tout part de l'annonce de la volonté du constructeur d'appeler sa prochaine petite voiture (électrique) Zoé. Après Logan, Mégane et Clio, Zoé est donc le nouveau prénom choisi par Renault pour désigner un de ses modèles. Une pratique qui heurte de nombreuses personnes du même prénom. Et plus encore plus quand celles-ci portent le même nom que le constructeur automobile comme c'est le cas pour au moins deux Zoé Renault en France (pas de bol). Du coup, le tribunal de grande instance de Paris doit se prononcer sur la question, et rendra son verdict demain, le 10 novembre.

L'occasion de faire le point sur un débat qui déchaîne les passions, l'utilisation de prénoms par les marques en général, et sur l'attitude de Renault face à un mécontentement grandissant...

Tout a commencé lorsque Renault a dévoilé un concept car du nom de Zoé. Des parents mécontents qui avaient baptisé leur fille Zoé (c'était le 17e prénom féminin le plus populaire en France en 2009...) ont lancé une pétition. S'en est suivi la création d'une Association pour la Défense de Nos Prénoms (ADNP) afin d'élargir le débat sur l'interdiction de l'utilisation commerciale à tous les prénoms. Après cette première pétition fin 2009, après la mise en demeure en début d'année, Renault s'est finalement vu assigné en référé pour l'utilisation du prénom Zoé pour sa prochaine voiture électrique, prévue pour une commercialisation mi-2012. Le but de cette action en justice  : éviter que les filles des parents en colère, toutes deux nommées Zoé, ne soient la cible de "moqueries constantes" du type, au dire des leurs propres avocats, "On va te faire la vidange", "Je vais tâter tes airbags" ou "Ça roule Zoé?" (lol).

Un précédent avec l'affaire Mégane

Il y a quelques années, c'est la justice qui se saisissait d'une affaire similaire : ainsi, un tribunal a du se prononcer sur le choix de parents d'appeler leur fille Mégane alors qu'ils portaient Renaud comme nom de famille... L'état civil avait saisit la justice, estimant que les parents allaient porter préjudice à leur petite fille en lui infligeant un nom trouvé dans une concession automobile du coin. Au final, la fillette a pu garder son prénom. Mais l'affaire avait fait grand bruit...

Face à Renault, la grogne monte

Alors pourquoi lorsque Renault présentait la Mégane, personne ne s'était-il insurgé comme c'est le cas aujourd'hui avec Zoé ? Certainement la faute à l'époque : aujourd'hui la fronde se fait avant tout par la mobilisation via les réseaux sociaux. En un mois et demi d'été, plus de 5000 personnes se sont regroupées sur Facebook dans le cadre d'un groupe qui s'appelle "Zoé n'est pas une voiture", avec pour credo "Un prénom, ça n'est pas pour une bagnole, un prénom, c'est pour un enfant." Sur ce groupe, on trouve (entre autres) des vidéos, avec rien moins que Max Boublil et Clara Morgane comme guest stars...
La médiatisation de l'affaire a aussi bénéficié de la force de frappe du web : tout le monde s'intéresse à cet épiphénomène du marketing, parce que potentiellement, chacun peut voir son prénom un jour tomber dans les mains d'une grande marque.

Un cas vraiment loin d'être isolé

Ce débat autour de l'utilisation de prénoms comme noms de marques ou produits est intéressant à plus d'un titre : on peut se demander d'ailleurs si Renault n'en fait pas les frais pour tous les autres, car au-delà des exemples Mégane ou Zoé, d'autres constructeurs ont également eu recours à des prénoms pour leurs modèles : Mercedes-Benz Vito (un utilitaire !), Alfa Romeo Giulietta, Lotus Elise. e-marketing.fr rappelle très justement aussi que cette mode se retrouve "au-delà de ce secteur, d’autres marques comme celles des aliments pour chats Felix, les boulangeries Paul, du parfum Anaïs, de Cerise de Groupama, de la fusée Ariane ou des "Gérard" du cinéma qui récompensent les navets du 7è art." Et pour aller plus loin vers l'exhaustivité des exemples, je rajouterai aussi les Supermarchés Ed, Cora (du prénom de la fille du fondateur), et bien sûr, les boutiques Nicolas (Vins & spiritueux), qui ne m'ont jamais empêché d'avoir une vie sociale correcte...

Quel est l'intérêt d'utiliser des prénoms ?

Lorsque Rue89 demandait à Marcel Botton, PDG de l’agence Nomen (leader mondial du naming) pourquoi les marques choisissent un prénom pour désigner leur produit, ce dernier répondait que c'était "Pour favoriser la proximité, c’est plus humain". Dans le cas de la Zoé, le créateur de marques (à l’origine des noms Clio, Vélib, Vinci, Wanadoo...) ajoutait : "La voiture électrique, c'est une voiture avec moins d'autonomie. Comme pour la Twingo, il faut leur donner un côté sympathique pour compenser certaines performances réduites." CQFD ? Pour moi l'argument de la sympathie est majeur. Ce que l'on attend dune marque, c'est sa valeur ajoutée. Et ça passe souvent par une grande part d'irrationnel, dont le premier jalon est d'installer durablement un nom. Notre société regorge de noms brillants. Nespresso, Apple, Ibiza, Vélib, Orange... Tous véhiculent quelque chose dans nos esprits rien qu'à l'évocation du nom. Et si ce dernier ne fait pas tout, il participe sans aucun doute à créer ce lien, si indispensable entre marque et client. Selon moi, c'est encore plus vrai avec un prénom... (sauf si dans votre enfance vous vous êtes un jour fâché à vie avec une Mégane ou que vous êtes allergique à la cerise : dans ce cas, on peut imaginer un effet pour le moins contre-productif).

Pourquoi Renault fait fausse route

Vous l'aurez compris, sur le principe je ne suis pas opposé à l'utilisation de prénoms par des marques. Pour Renault cependant, j'ai l'impression que la stratégie de l'autruche peut desservir la marque. Sur e-marketing.fr, on lit que, le fabricant a déposé la marque ZOE, en majuscules et sans accent, dès 1991, à l'époque où ce prénom n'était pas encore à la mode (il y a 35 000 Zoé en France aujourd'hui). OK. Mais c'est sa ligne de conduite, celle de rester campée sur sa position, qui me paraît le plus inappropriée. Quand on interroge la marque, le nom Zoé a été choisi tout simplement parce qu'il était court et comprenait les lettres Z et E, comme pour « Zéro Emission », du nom du programme des voitures électriques du constructeur. "C’est une appellation simple à retenir, qui évoque des notions telles que la féminité ou le dynamisme", avance Valérian David de la communication de Renault avant d'expliquer "le fait que ce soit un nom commun grec qui signifie "vie". C'est le reflet des espoirs que nous plaçons dans ce futur véhicule propre."

Maître David Koubbi, en lutte contre
l'usage du prénom Zoé par Renault.
Ces explications sont loin de calmer l'ADNP. David Koubbi, un avocat représentant une étudiante parisienne s'appelant Zoé Renault explique qu'aujourd'hui, "les industriels, pour valoriser et humaniser leurs produits, transforment les prénoms en nom de marque, (...) et selon que nous aurons de la chance ou pas, nous serons un joli pot de fleurs, un martinet, un godemichet ou un balai à toilettes !". Du coup quand on y pense, avoir le même prénom qu'une voiture, c'est pas si mal...

Lorsqu'on posait la question d'un éventuel changement de nom pour son modèle, Renault avait déclaré à l'AFP au moment du Mondial "Ce n'est pas du tout à l'ordre du jour pour l'instant, on prend acte d'une assignation en référé, on est serein et confiant du point juridique sur l'issue de ce référé". D'ailleurs, la marque ne comprend pas vraiment l'ampleur de ce mécontentement : "Pense-t-on à une voiture en voyant Megan Fox, alors qu'elle porte un prénom de modèle Renault et un nom de famille de modèle Volkswagen ?" se défend Valérian David. Pour e-marketing.fr, ce dernier rajoute que "Non seulement la loi n’interdit pas l’utilisation commerciale des prénoms, mais en plus l’appellation Zoé est déjà déposée par 112 marques en France (source: INPI), y compris une marque de vin, ajoute-t-il. Si l’on nous demande de retirer Zoé du marché, il faudra que toutes les autres marques en fassent autant." Aïe.

Mais lorsque l'on voit que l'ampleur d'un mouvement rassemble plusieurs milliers de personnes, et que l'affaire est relayée dans la presse et dans le web, ne doit-on pas a minima tenter de contenir le bad buzz, voire de le retourner à son avantage ? C'est ce que je pense. Et à l'heure des stratégies dites "conversationnelles" entre une marque et son public, il me paraît urgent que Renault fasse mine d'entendre ses opposants. En trouvant un autre nom peut-être, en faisant un geste auprès des deux Zoé Renault humaines recensées en France sûrement. L'écoute est plus que jamais une valeur sur laquelle doivent se reposer les marques, au risque sinon de n'être plus entendues par leurs cibles...


[EDIT] Un juge parisien vient de se déclarer incompétent pour statuer sur l'affaire Renault Zoé

Les plaignants avaient saisi Magali Bouvier, le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris pour qu’elle interdise au constructeur d’utiliser ce patronyme, craignant que leurs enfants fassent l’objet de « moqueries constantes ». Cette démarche était soutenue par l’association pour la défense de nos prénoms (ADNP). Or, la fonction d’un juge des référés est d’intervenir lorsqu’un « trouble imminent à l’ordre public » est établi. La sortie de la Renault Zoé n’étant prévue qu’en 2012, Magali Bouvier a donc estimé qu’il n’y avait pas « l’existence d’un péril imminent » et que par conséquent elle n’était pas compétente pour juger ce litige. Me Koubbi, l’avocat des familles Renault a immédiatement annoncé qu’il allait faire appel de cette décision. L’affaire n’est donc pas close...


Sources :

2 posts:

renaud roubaudi

. quelle production ! tu peux dire la même chose en un feuillet, mais c'est le journaliste qui parle.

sur le fond, je ne sais quoi penser. a force de préempter tout ce qu'il y a d'humain, d'émotionnel, les marques ne vont elles pas finir par nous dévorer. car au fond, l'objectif de tout cela est de vendre et même si je suis passionné de communication, je m'inquiète parfois de toute l'énergie et le talent qui est mis au service de cause mercantile. Stark dénonce souvent ce paradoxe, lui qui vit par la création au service des marques. profondément, je me demande si la dépression du monde ne vient pas de là, toute l'intelligence est au service de grande marque : 1) cela frustre de plus en plus ce qui ne peuvent pas acheter, car on les sollicite habilement en permanence 2) ce qui créent au service des marques savent que leur mission est un peu vaine.
voilà. tu as sans doute raison, Renault devrait faire marche arrière, non pas pour le bad buzz, juste pour laisser les humains tranquilles.

Renaud Roubaudi
blog : http://renaudroubaudi.blogspot.com/

Utilitaire Renault

Nommer un véhicule avec un prénom apporte une sympathie pour le produit. Le prénom "Zoé" parait cependant très utilisé et Renault risque de s'attirer les foudres de certain(e)s.

Haut de page