[Focus] L'échec de la transformation des magasins Atac en Simply Market


On peut quelques fois sous-estimer l'importance d'une marque et de son positionnement, dès lors que celle-ci fait partie intégrante de notre quotidien. Une marque, c'est un corpus complexe de valeurs, mêlées à un/des produit(s)/service(s) qui font son identité. Bref, "Vendre c'est créer le désir d'acheter" comme le disait Philippe Michel. Et force est de constater que créer le désir d'acheter n'est pas si facile qu'il n'y paraît. J'ai toujours pensé que les enseignes de la grande distribution étaient à part, pour la simple et bonne raison que pour moi, les clients choisissent d'aller chez Carrefour, Cora ou Auchan avant tout en fonction de la distance qui sépare le parking du supermarché de leur domicile. Pourtant, les clients sont bel et bien attachés au service qui leur sera offert, au choix et à la qualité (perçue), sans parler du prix (surtout en période de crise).

Le groupe Auchan en a visiblement fait les frais : la transformation des magasins Atac en Simply Market n'a tout simplement pas convaincu les consommateurs. Pire, Le Monde parle d'"échec cuisant", et même de "plus gros ratage de ces dernières années"... Mais pourquoi ce rebranding a-t-il échoué à ce point ?

Chronique d'un ratage en règle

À l'origine, Auchan avait pour ambition de provoquer un "big bang" dans l’univers de la distribution avec comme idée phare celle de remplacer une enseigne vieillissante, Atac, par une nouvelle marque. Aussi, à partir d'avril 2009 s'opère la transformation de 290 magasins Atac, qui passeront tous sous la bannière Simply Market, voulue simple, ludique et bon marché. Concrètement, hormis de nouvelles couleurs et un nouveau logo, le changement se traduit aussi en rayon : l’offre est simplifiée autour d'un assortiment réduit de 20%, focalisé sur les produits frais et à moindre prix, et mathématiquement moins de références. Et c'est là où le bât blesse : dans le supermarché de La Ferté-Saint-Aubin, à 20 km d’Orléans, les clients se sont notamment plaints "de ne pas retrouver les produits de chez eux, comme le boudin blanc, la terrine de Sologne, les vins de Cléry ou les boîtes à biscuits de Chambord", raconte au Monde Jean-Michel Trihan, le directeur du magasin.

D'habitude, un changement d'enseigne se traduit mécaniquement par une hausse des ventes, en grande partie grâce à l'effet de curiosité, surtout si le rebranding s'accompagne de travaux d'embellissement. Mais là, c'est tout le contraire : le chiffre d'affaires va jusqu'à baisser de 8% dans certains magasins ! Les clients sont mécontents, le personnel démotivé. Un joli raté donc, d'autant plus problématique que dans le même temps, Carrefour faisait disparaître l'enseigne Champion, pour transformer ses magasins en Carrefour Market. Mais dans ce cas, le succès était au rendez-vous.

Deux stratégies opposées 

D'un côté Atac, marque vieillissante peut-être mais qui avait sa clientèle d'habitués, et qui aurait pu bénéficier d'un rajeunissement de la marque tout en capitalisant sur ses acquis. Au lieu de ça, les consommateurs voient débarquer à grands renforts de pub, une marque quasi inconnue, Simply Market, avec un logo moche (OK, là je suis trop subjectif mais j'assume), et une campagne TV en décalage, joyeuse et pleine de promesses, quand, sur le terrain, "il ne s’agit que d’un joli coup de peinture", estime dans Le Monde Laurent Thoumine, consultant chez Kurt Salmon.

Chez le concurrent, la stratégie a été toute autre. Alors même que l'enseigne Champion avait bénéficié d'un petit coup de jeune peu de temps avant, le groupe Carrefour décidait de la sacrifier au profit d'un déploiement de l'identité Carrefour (à partir de septembre 2008). Ainsi naissaient Carrefour Market et Carrefour City.

L'objectif est alors on ne peut plus simple : offrir plus de visibilité a une marque connue de tous, mutualiser les investissements publicitaires, capitaliser sur une gamme de MDD bénéficiant d'une campagne importante... En clair, Carrefour s'invite dans la bataille des prix bas, et veut inonder la France avec ses produits premiers prix.

C'est d'autant plus judicieux que quelques années avant, Casino a rebondi en harmonisant ses Casino supermarchés, Géant Casino et Petit Casino : le consommateur reconnaît désormais la marque mère et transfère sur les marques filles les valeurs qu'il a gardé en mémoire. Les enseignes U sont également identifiables quelle que soit la taille du magasin : un Super U, un Hyper U ou un Marché U ne perdront pas non plus leurs clients.

Dans le cas de Simply Market (et de son logo moche), l'initiative n'était pas dénuée de sens, et certaines bonnes idées ont accompagné le rebranding, comme de faire du 'everyday low price' et moins de promotions occasionnelles. Mais la vraie question à se poser en termes de stratégie est la suivante : pourquoi l’enseigne, qui pèse très peu dans le paysage des supermarchés, ne cherche-t-elle pas à profiter pas de l’image puissante d’Auchan ? Ne resterait finalement plus qu'à transformer les supermarchés Match en Cora Market ou Cora City...

Dans Le Monde, Philippe Pupunat, directeur opérationnel des magasins du Grand Ouest analyse rétrospectivement : "On a voulu calquer partout un concept unique, sans prendre en considération les spécificités locales". Or, les attentes de clients pressés de grandes villes ne sont pas les mêmes que celles d’habitants de la campagne, qui réclament plus d’accueil et des produits qu’ils ne peuvent pas se procurer facilement ailleurs... Finalement, le cas démontre une fois de plus qu'on ne peut décidément pas imposer n’importe quoi au consommateur, surtout si cela doit changer ses habitudes.

Sources : 
LeMonde.fr / Carrefour.fr / ConseilsMarketing.fr / Communiqué officiel Groupe Auchan

Illustration (haut de page) :
ConseilsMarketing.fr

7 posts:

Alanzed

Non non, le logo est très objectivement horrible, une insulte au bon goût !

Anonyme

Carrefour et Champion ont fait un long et fastidieux travail pour obtenir un résultat plus que satisfaisant sur la transfo et transition Champion > Carrefour Market, sachant qu'il y avait derrière presque 5 millions d'adhérents à la carte Champion.

Nicolas [Z-Factory]

Effectivement, point essentiel que j'avais oublié : la force de frappe du programme de fidélisation, et par la même occasion l'effet d'échelle plus important encore que par le biais d'une centrale d'achats commune (mêmes packaging, investissements mutualisés etc.).

Et comme tu le sous-entend, un travail important de 'conduite du changement' auprès des clients est absolument essentiel lorsque l'on bouscule leurs repères.

Anonyme

Exact Nicolas. D'ailleurs Champion (Supermarchés France Carrefour) était l'un des meilleurs références en CRM, l'équipe Com & Market Clients Champion a été sollicité dans ce gros projet, tout a été piloté depuis Champion et non par Carrefour Group. Une parfaite autonomie de la marque afin de mieux gérer ses clients et faire la transition en douceur tout en continuant à animer leur programme de fid. J'ai pu le constater, il y a un côté "artisanal" que l'on retrouve très peu dans de grandes marques. Carrefour pouvait vraiment compter sur Champion, bien que Carrefour soit son grand frère.

D.

wykaaa

Il n'y a pas que le logo qui est moche mais le nom aussi, imprononçable par les personnes âgées qui sont pourtant la clientèle principale de ce genre de magasin.
Et puis, sous prétexte de prix bas, je ne suis pas prêt à manger n'importe quelle cochonnerie.
Exit Simply Market, les magasins les plus nuls que j'ai jamais vus...

@lpha

Très bonne analyse.
J'ajoute que les codes couleurs de ces Simply ne sont pas sans rappeler ceux des Supermarchés STOC qui bénéficiait, au même titre qu'ATAC, une identité forte et un très bon logo contrairement à Simply qui semble vouloir proposer visuellement comme un retour en arrière sauf que c'est réellement raté.
Et que dire de tous ces Market, Simply, Express, City ... On est plus capable de créer de bonne enseignes bien frenchy au aujourd'hui?

Anonyme

Très franchement, je regrette tellement les supermarchés STOC : ils étaient vraiment chouettes. Logo, couleurs, produits... Et la mythique carte Iris. J'ai détesté quand c'est devenu Champion. Ah les fusions de la fin des années 1990... Promodès, etc. Pff... Quel dommage.

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