Cette initiative nous vient de loin. L'opération appelée "The Impossible Brief", créée par l'agence Saatchi & Saatchi Tel Aviv annonce la couleur.
L'idée se résume ainsi : depuis 60 ans, Israéliens et Palestiniens se livrent un conflit inextricable, que ni les dirigeants politiques des deux pays, ni les médiateurs extérieurs n'ont réussi à résoudre. Que nous reste-t-il pour tenter d'en finir avec la violence dans cette région du monde ? L'agence Saatchi & Saatchi a peut-être la réponse... ou au moins a-t-elle le mérite d'attirer l'attention sur elle en lançant un gigantesque concours qui n'a pas son pareil.
"The Impossible Brief" en appelle a la communauté des créatifs du monde entier pour trouver des solutions pour palier les échecs successifs de la diplomatie internationale. Le message est clair : "plutôt que de politiques dépassées, nous avons besoin d'idées nouvelles, "out of the box" pour montrer au monde que les esprits créatifs peuvent même inspirer les leaders politiques"...
Tout un programme donc. Qu'y gagne-t-on ? Pas grand chose, et tout à la fois. Les solutions et idées les plus inspirées seront sélectionnées par un panel mixte de juifs israéliens et d'arabes du groupe BBR. Le grand gagnant se verra offrir un ticket pour la grand-messe de la pub mondiale, le "Cannes Lions International Advertising Festival" 2011. Une vraie récompense digne d'un tel challenge, ou plutôt l'opportunité d'une auto-congratulation en règle de toute la profession... Ne vous enflammez pas trop vite non plus, le site précise que ni le transport, ni l'hébergement ne sont pris en charge ! Mieux vaut donc être un créatif Français que venant du Japon pour remporter ce challenge impossible. Mais comme l'indique aussi le site, c'est peut-être aussi l'opportunité de décrocher (rien que ça) le Prix Nobel de la Paix !
Jusqu'à présent, la plupart des propositions envoyées ont une absence totale de sensibilité envers les problèmes réels. L'une des idées les plus intéressantes (sur la page Facebook) est la suggestion de Vikram Oberoi : former une équipe de dirigeants juifs et palestiniens pour résoudre le problème du Cachemire. Il explique : "Travailler en équipe en examinant des questions similaires, sans leurs a priori de belligérants pourra leur ouvrir l'esprit et peut-être changer leur approche..."
La plupart des autres idées vont de la banale "Rassembler les dirigeants autour d'une table avec de la nourriture juste pour parler, parler du fond de leurs cœurs" à la stupide "Que les dirigeants se mettent à fumer de l'herbe ensemble"... Reste donc à être patient pour voir si quelques bonnes idées sauront émerger avant le 21 septembre, fin de la compétition.
Comme le rappelle le site "Wired", ce n'est pas la première fois qu'une agence de pub décide de s'attaquer aux problèmes du monde. L'an dernier, l'International Advertising Association (IAA) a fait appel à des bénévoles de la pub, du marketing et de la communication partout dans le monde pour qu'ils fassent don de leur temps et créer la marque Hopenhagen, qui visait à faire pression pour une issue positive à COP15 et faire en sorte de sensibiliser le public pour qu'il réclame une solution au changement climatique. En 2007, Droga5 s'était rapproché de l'UNICEF avec Tap Project - une initiative basée sur un concept simple : les restaurants demanderaient à leurs clients de faire don de 1$ ou plus pour l'eau du robinet dont ils bénéficient généralement gratuitement. Tous les fonds recueillis permettaient à l'UNICEF d'acheminer de l'eau propre et accessible à des millions d'enfants dans le monde.
Si le changement climatique et la fourniture d'eau potable sont parmi les problématiques les plus importantes à résoudre aujourd'hui, elles ne sont ni aussi épineuses ni aussi politiquement lourdes que celle du conflit Israélo-palestinien... Et tout ça a une drôle d'odeur au final. Je suis de ceux qui croient en ce que le crowdsourcing peut apporter beaucoup. Je suis aussi de ces optimistes qui croient qu'un de ces quatre, le monde ira mieux, qu'on ne parlera plus de l'affaire Woerth-Bettencourt-Sarkozy et que l'économie va repartir. Mais là, on se retrouve dans quelque chose de vraiment fou, le genre de délire que seuls des publicitaires peuvent imaginer... Il n'empêche que même si l'idée est intéressante de faire appel à des communiquants pour "rapprocher" Israéliens et Palestiniens, nous avons ici un aveu cruel de l'impuissance du monde depuis 60 ans à résoudre un conflit majeur. Reste à voir si la communauté des Mad Men du monde entier saura faire abstraction de son égo, et considérer qu'il y a bel et bien un enjeu derrière tout ça, et que deux communautés aussi opposées ne se traitent pas comme de quelconques produits alimentaires...
1 posts:
J'ai été séduit à la première lecture du "Impossible Brief". Mais comme toi à y regarder de plus près, il y a quelque chose d'assez naïf (ou d'égocentrique) chez les publicitaires à croire que ce conflit n'est qu'histoire de créativité ou d'innovation.
Nous parlons ici de politique, de religions, de passions de peuples, de symboles et de blessures profondes ancrées dans chacun des deux peuples. Il ne s'agit pas de mettre en scène des idées, ou même d'en inventer de nouvelles, il s'agit de faire cohabiter des idées et des options fondamentalement opposées.
En considérant que les choix politiques se résumeraient à des approches créatives différentes ou que la Nation (le bien commun d'un peuple) est une marque en perpétuel repositionnement, On fait une erreur majeure et on écorne la démocratie.
La différence entre une marque et un peuple, une frontière ou la destinée du nation, est qu'un citoyen choisit votre marque, il ne choisit ni son peuple, ni ses passions, il vit et vibre avec. Il ne s'agit pas de lui vendre, car ce bien LUI appartient.
La publicité en grande part c'est amener une part d'enchantement et de passion à un choix pourtant rationnel : Telle lessive ou telle autre.
Le conflit au proche orient c'est exactement l'inverse qu'il faut faire : Trouver une option rationnelle, raisonnable et acceptable à un débat devenu déjà trop passionnel et émotionnel.
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