Pub : La langue française bien pendue

La pub est certainement l’un des métiers (avec assureur ou garagiste automobile) qui bénéficie le plus d’une mauvaise image auprès du grand public. L’une des croyances populaires qui contribue à entretenir cette appréhension générale, est que la pub participe à l’amoindrissement de la richesse de la langue française. Là, on aborde à nouveau une discussion digne de figurer dans le débat sur l’identité nationale. Quoi qu’il en soit, la bonne nouvelle du jour c’est qu’on va enfin en avoir le cœur net…

Par ailleurs, la pub serait-elle en passe d'être reconnue comme étant une forme de culture ? Il se pourrait que oui, au vu de la mission qu’a confié le Ministère de la Culture à la Délégation générale à la langue française et aux langues de France (DGLFLF), en collaboration avec l’ARPP (ex-BVP pour les nostalgiques). Enfin nous allons pouvoir savoir si oui ou non, la pub fait du tort à notre langue...

La DGLFLF a donc étudié de près cette question dans son bilan 2009, précisant qu’il s’agissait de « dresser un état des lieux objectif, quantitatif et qualitatif, des relations entre la langue française et la publicité ». Trois questions majeures sont abordées dans le rapport final :

   1) La Loi Toubon est-elle respectée ?
   2) La publicité contribue-t-elle à l’appauvrissement de la langue ?
   3) Le Français se prête-t-il à la créativité publicitaire ?

La troisième question appelant une ouverture plus intéressante que les deux premières, et visiblement plus constructive pour la profession.

La pub est un véhicule important de la langue française

La DGLFLF reconnaît en introduction de son rapport, que "la publicité est un véhicule important de la langue, que cette dernière soit écrite ou parlée. D’autant plus important que la publicité est quantitativement très présente dans la vie quotidienne des Français et que, qualitativement, le talent avec lequel elle est souvent conçue lui assure un impact élevé." Ça en gros, c’est pour rassurer les pubards et ne pas provoquer de scandale… Pour autant, elle rappelle juste derrière que "la publicité et le français entretiennent une relation complexe : la virtuosité rhétorique et l’art du mot juste côtoient un goût prononcé pour les audaces de style (pas forcément « orthodoxes ») et le recours aux langues étrangères. (…) Dans le contexte de mondialisation qui domine l’économie depuis la fin des années 80, les emprunts aux langues étrangères sont évidemment tentants. Ces libertés que s’autorisent les publicitaires sont facilement justifiables (comment permettre à la créativité de se déployer si l’on ne fait pas preuve de souplesse ?) mais leur valent des critiques, d’aucuns les accusant de participer à l’appauvrissement et à l’affaiblissement de la langue française."

Les gants ayant été mis dans l’intro pour ne pas rebuter les pubards, voyons ce qu’on apprend.


Déjà, pour répondre aux questions posées, l’ARPP et la DGLFLF ont passé au crible plus de 7 300 publicités (902 en affichage, 3797 en TV, et 2624 en radio). Première surprise, seules 4% d’entre elles présentent des manquements aux lois et règles déontologiques en vigueur. Ces manquements correspondent généralement à l’utilisation de langues étrangères sans traduction : traduction présente mais illisible ; emploi de grossièretés ou d’incorrections. Quels sont ces manquements recensés ? Et bien des créations utilisant des mots « barbares » tels que « goodies », « drink », « playlist », « lover », « hotline », ou encore « welcome », « low cost », « woman » ou « team »... En guise de rappel à l’ordre, le rapport précise que bien que ces mots soient "passés dans le langage courant, [ils] n’en requièrent pas moins une traduction." On est prévenus.


Perso je veux bien que l’on materne un peu les Français, mais veillons quand même à ne pas les prendre trop pour des cons...



My (advertising) tailor is rich

En fait, il semble que le principal problème pointé du doigt soit l’utilisation importante de l’anglais pour des noms de marques. L’étude fait ainsi mention de 893 publicités, soit 12 % du total examiné (plus d’une sur dix quand même !), qui, du fait de marques, de noms de produit, de musiques, ou autres, "peuvent donner indûment le sentiment que la publicité se détourne du français". Pire, "ce taux permet de mieux comprendre les impressions évoquées par certains de nos concitoyens qui déplorent une publicité qui bouderait sa langue au profit de l’anglais notamment." J’aimerai bien les voir, ces fameux citoyens qui s’expriment à ce sujet…

Parmi les exemples cités figurent parmi les marques, Subway, Leader Price, Virgin Mobile, Daddy, Signal White Now, Samsung Player Style, Dove Go Fresh, les chewing-gums Style Black by Hollywood, SFR Business Team ou l’incontournable Next Year d’Afflelou.

Le rapport cite aussi des noms de films, de spectacles ou de jeux, comme Fast & Furious, Dr House,  I am Tour de Beyonce, Sticky & Sweet Tour de Madonna, High School MusicalC’est à se demander si on ne devrait pas renommer la tournée de Madonna rien que pour les Français en « La tournée sucrée qui colle » !

Pire. Certaines marques à consonances anglophones utilisent pour leur pub TV des musiques… anglaise. Tout fout le camp en somme. En tout cas vu comme ça, c’est clair que l’anglais est omniprésent…

Amis de la pub, nous ne sommes pas encore au taquet !

Le rapport met en lumière un autre point important : "les visuels témoignant une utilisation créative de la langue française sont proportionnellement quasiment deux fois plus nombreux que ceux présentant des manquements". Cela ne fait toujours qu’un taux de 8% des créations qui ont été "analysées". La DGLFLF pense que cela "pourrait indiquer un certain manque d’appétence pour le français, ou plus largement pour la créativité linguistique." En d’autres termes, dans la pub, on fait des efforts, on aime la langue, mais parfois on pourrait le montrer davantage !

Parmi les « bons élèves » de l’utilisation créative de la langue, le rapport met en avant les célèbres « il a Free, il a tout compris », « Il n’y a que Maille qui m’aille », ou encore « Si Juvabien, c’est Juvamine » : les rédacteurs de la DGLFLF aiment donc les slogans usant d’un joli jeu de mots... Mais pas que : puisque les créations de mots ne sont pas en reste : par exemple, la « KenKen Mania » (Ken Ken), « l’esprit Paris-Yorker » (L’avion OpenSkies), un « zenfant » (Disneyland), la « cacaovite », la « fraich’attitude », la « maracothérapie » et le « raslebolomaniaque », le « Zest of » de Zazie, « l’actimelisation » avec Actimel, les « Tassimoments » de Tassimo, ou encore les adjectifs « surmesurophile » et « contraintopathe » d’Amaguiz…

Quant à la reprise du langage dit "jeune" (ou "djeuns" si vous préférez), par exemple : « c’est d’la bombe », « choper », « ouf », « teuf », ou pire, du langage SMS (les « SMS ilimiT vR ts lé oPratR » de Bouygues Telecom), ils ne semblent finalement pas si fréquents en publicité.

L’avis des pros

Bon point pour cette étude, elle finit par demander leur avis aux gens du métier. Et ceux-ci s’empressent de répondre qu’il existe « structurellement, un cahier des charges propre au langage publicitaire dont il est difficile de s’affranchir. L’opportunité du recours à la langue française va s’évaluer à l’aune de ces critères, ainsi que le choix des formes et niveaux de langage. »

Ils rappellent également que la pub subit l’influence d’évolutions qui la dépassent, soulignant outre les effets de la mondialisation, la raréfaction du recours aux mots en publicité, "au profit de signifiants plus sensoriels, polysémiques et plus universels (sons, images, marques, logos)." > Essayez de caser ça lors d'un dîner, le coup des "signifiants plus sensoriels polysémiques universels", juste pour rigoler...

Les professionnels revendiquent la langue française comme levier de créativité, tout en reconnaissant que ce gisement est aujourd’hui assez sous-exploité. Et au final, la posture à adopter semble être une approche plus décomplexée et non défensive de la langue. Les publicitaires apparaissent ainsi dans l’ensemble favorables à une utilisation la plus large possible de la langue française, à condition qu’elle soit assortie de liberté.

Au final, on se rend compte que le Français n'est pas si mal traité dans la pub (et c'est tant mieux). Je me demande quand même ce que ça donnerait si on analysait tout ce qui se dit sur le web… Certainement qu’on en aurait des choses à dire. Quoique, maintenant en 140 caractères, ça peut aller vite...

> Télécharger le rapport complet
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Les règles de référence

- Loi n°94-665 du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française (dite Loi toubon)
- Circulaire du 19 mars 1996 concernant l’application de la loi n°94-665 (Jo du 20 mars 1996)
- Recommandation mentions et renvois, arPP, Décembre 2005
- L'ensemble des règles en vigueur (ARPP)

4 posts:

Matthieu

On a un peu le sentiment que certaines autorités administratives préféreraient voir la langue française comme une langue figée, donc morte...
Le brassage permanent et l'volution ne sont-ils pas le signe d'une langue en bonne santé ?

Nicolas [Z-Factory]

Je suis d'accord avec toi. D'autant plus lorsqu'on a eu des grands penseurs suggérant des inepties comme la substitution de CD-ROM par... cédérom !

Au final, la langue, c'est un peu comme pour le monde en général : chacun ne se nourrit et ne grandit que lorsqu'il est confronté à ce brassage permanent dont tu parles...

My Client is Rich

I really don't know what you're talking about, ah ah !
(super article en tous cas ! merci, très intéressant !)

Capten

Bonne synthèse, néanmoins un parallèle avec l'univers de la publicité au Québec aurait été intéressant.
En effet les habitants de la belle province ont l'habitude de tout traduire, de "Rapides et dangereuses" pour "Fast and Furious" jusqu'au courriel pour l'e-mail en passant par le "Joyeux festin" remplaçant le "Happy meal".
Ca donne une idée des avantages mais aussi des inconvénients d'un monde complètement francisé.

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