Hausse du prix de l'abonnement Internet : les conséquences du retour de la fracture numérique


Après quelques jours de vacances, me voilà de retour (en forme), et le blog fait par la même occasion sa rentrée. Le sujet (qui fâche) d'aujourd'hui concerne la très probable hausse des tarifs des fournisseurs d'accès à Internet (FAI). Quel rapport avec la communication peuvent se demander certains d'entre vous ? Si cette information se concrétise, elle va probablement remettre en question l'un des acquis du web (en France) sur lequel ont été construits nombre d'espoirs en matière de stratégies de communication/marketing : la démocratisation de l'accès au web.
Vers la fin de l'Internet à 30€ ?

Aujourd'hui les abonnements dits "Triple Play", comprenant Internet, TV, et téléphone sont soumis à un régime particulier, puisque la moitié de la facture de votre opérateur est soumise à une TVA de 5,5%, la seconde à 19,6%. Or, la Commission Européenne a récemment mis en demeure la France de changer ce système, estimant que la TVA à 5,5% n'était autorisée que pour les services de télévision, ce qui représente d'après Bruxelles moins de la moitié des factures de nos FAI. Ainsi soit-il.

Pour la France, ce rappel à l'ordre est un bon moyen de dégager des revenus supplémentaires pour boucler le budget 2011 (une des fameuses niches fiscales qu'il fallait raboter pour gagner plus) : d'après LeMonde.fr, l'entourage de la ministre de l'économie Christine Lagarde a chiffré à "plusieurs centaines de millions d'euros" les recettes supplémentaires pour l'Etat. Mais les conséquences sous-jacentes sont nombreuses, et peut-être plus graves qu'il n'y paraît.

Les conséquences de la hausse du prix de l'abonnement

Pour certains, une hausse des prix de nos "box" Internet n'a pas de conséquences graves, puisqu'on n'augmente pas à proprement parler le tarif de l'accès au web, mais en même temps celui de l'accès à la TV et au téléphone. Rappelez-vous que le téléphone était jusqu'ici un service public et que la télévision était accessible à tous par les signaux hertziens, le passage au tout numérique aura fortement encouragé les Français à se lancer dans le Triple Play. En même temps, ces offres à 30€ tout compris ont été le vrai tremplin pour le fameux "boom de l'Internet", offrant ainsi à plusieurs milliers de personnes une solution simple et abordable pour se connecter à la toile.

Tout ça n'a pas seulement permis à la populace de découvrir les incontournables MSN, MySpace, Meetic, Facebook et consorts. Internet a aussi et surtout ouvert les horizons en devenant une nouveau canal d'information et de communication pour et avec les masses. L'accès à l'emploi, la veille, la formation, le networking ne sont que quelques-unes des centaines d'opportunités offertes à chacun par le web. 

Revenons à nos moutons... La fin de l'abonnement à 30€ appelle selon moi deux hypothèses :

- La première, c'est que comme avec notre mobile, nous ne pouvons plus nous passer d'Internet une fois qu'on y a touché. Dans ce cas, on est mal barrés, puisque ça veut dire qu'on est capables d'assumer n'importe quelle hausse de tarifs pour continuer à "poker" nos "friends" sur Facebook.
- La seconde hypothèse, moins optimiste, est celle qui consiste à dire que la "fracture numérique" va prendre de plus en plus de sens, laissant l'accès à l'Internet pour les classes moyennes et supérieures, et privant chaque jour un peu plus ceux qui vont devoir faire des choix dans leur budget du quotidien.

Dans les deux cas, l'Etat fait entrer dans ses caisses de nouvelles recettes fiscales, l'Europe est contente et les opérateurs tels Free, Orange, SFR, Bouygues et les autres n'auront qu'à bien se tenir. Dans Le Monde, Le directeur général de la Fédération française des télécoms, Yves Le Mouël estime que "Si certains opérateurs décident de prendre en partie sur eux cette charge nouvelle, cela aura des conséquences sur les investissements dans le très haut débit". Moi je me dit que si déjà ils augmentent leurs tarifs, ils risquent aussi de vouloir en tirer profit.

Le retour de la fracture numérique ?
D'après Wikipédia, la fracture numérique concerne "les inégalités dans l'usage et l'accès aux technologies de l'information et de la communication (TIC) comme les téléphones portables, l'ordinateur ou le réseau Internet." Voici quelques chiffres pour nous permettre de prendre la mesure de la situation :

  • Selon le CREDOC, 40% de la population (population paupérisée ou âgée) n'utilise jamais l'informatique.
  • L'âge est un puissant facteur de discrimination : en 2009, 94% des 12-17 ans et 89% des 18-24 ans avaient un micro-ordinateur, mais seuls 21% des 70 ans et plus en possédaient et ils l'utilisent souvent peu. Les plus de 60 ans sont les plus touchées Après 60 ans, 80 à 95% de la population ne se connecte jamais.
  • Les ressources financières sont aussi une condition d'accès : C’est aussi le cas de 87% des non-diplômés et de 65% des personnes vivant dans des foyers modestes.
  • Dans chaque catégorie socioprofessionnelle, en 2007, de 5 à 10% environ des possesseurs d'ordinateurs n'étaient pas reliés à Internet. Le niveau culturel influe beaucoup : les personnes peu diplômées (83% des non-diplômés et 49% des titulaires d’un BEPC) n'ont pas d'accès direct à l'internet, alors que 91% des cadres avaient un ordinateur et 81% étaient connectés à Internet.

Par ailleurs (d'après Wikipédia), l'architecture du réseau téléphonique historique français sur lequel s'appuie la grande majorité des accès haut-débit (via l'ADSL en général) est une source d'inégalité. En effet :
  • 2% des lignes téléphoniques (600 000 foyers environ) sont inéligibles à l'ADSL (zones blanches)
  • 8% des lignes téléphoniques (2,4 millions foyers)ne permettent pas un accès à plus de 512Kbits/seconde. Ces foyers ont un accès très/trop lent à de nombreux sites ;
  • 27% des lignes (8 millions de foyers) ne permettent pas un accès à plus de 2Mbits/seconde. Ces foyers seront bientôt exclus des sites Internet qui sont de plus en plus gourmands en bande passante. Ces foyers sont très nombreux en zones rurales, mais sont également présents à Paris et en Ile de France (lignes de cuivre éloignées du central France Telecom).
L'arrivée de la fibre optique et du très haut débit, telle qu'annoncée par les opérateurs de télécommunication ne va pas réduire cette fracture, car les déploiements vont commencer là ou c'est le plus rentable, c'est-à-dire en zone dense. Les solutions de désenclavement existent, mais tout cela à un coût, que tout le monde ne peut pas forcément supporter. Le rapport Attali (Rapport de la Commission pour la libération de la croissance française) propose une définition de la fracture numérique en France, fixe plusieurs objectifs et propose plusieurs décisions pour réduire la fracture numérique :

  1. Démocratiser le numérique en accélérant le déploiement des infrastructures - Décision 49 (Garantir une couverture numérique optimale en 2011) et décision 50 (Réaliser l’accès pour tous au très haut débit en 2016)
  2. Réduire les fractures numériques - DÉCISION 51 (Faciliter l’accès de tous au réseau numérique)
La hausse de la TVA ne semble pas aller dans le sens de ces préconisations...

Et pour les métiers de la communication, ça change quoi ?

Depuis quelques années, les stratégies digitales sont construites sur l'idée qu'une grande majorité de la population a accès à Internet. Les communiquants confondant parfois même la population réelle avec celle (plus restreinte forcément) effectivement connectée à la toile. Le risque pour nos métiers est là : il ne faudrait pas que nous oubliions cette frange de population non-connectée : peut-être doit-on arrêter de prôner le "tout-web" dans certaines des stratégies vendes aux clients. 

Internet offre l'accès à l'information, à la culture aussi, et au divertissement bien entendu. Pour certains la pub (y compris sur Internet) est une forme de culture et/ou de divertissement. Je crois surtout que c'est le cas du brand entertainment. N'avons-nous pas une responsabilité aussi qui est celle d'apporter un contenu (intelligent si possible) au plus grand nombre ? Au final, la décision reviendra au Gouvernement d'appliquer ou non cette hausse de la TVA, et aux FAI de décider de la répercuter ou non, totalement ou en partie sur la facture des abonnés. D'après Le Monde, "une source gouvernementale proche du dossier reconnaissait récemment qu'il s'agissait d'une "solution atomique" tant elle aurait de répercussions dans ce secteur très concurrentiel." On est prévenus. Il est peut-être encore temps de nous faire entendre...

Sources :
- LeMonde.fr (09/09/10)

2 posts:

FlexyTrendy
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
Anonyme

Thnx Nico pour cet article fouillé, ça me fait penser aux propos tenus par Xavier Niel (Free) en mars 2010, qui a déclaré : «Avant la fin de l'année, le prix du triple-play va monter », évoquant une augmentation de 5€ (mais pour d'autres raisons que celles avancées par le gouvernement).

http://www.lefigaro.fr/web/2010/03/23/01022-20100323ARTFIG00629-free-predit-une-hausse-des-prix-de-l-adsl-.php

Par ailleurs, je pense que cette augmentation pourrait peser dans le bras-de-fer opposant certains FAI (notamment Free) au gouvernement, concernant la rémunération de l'identification des adresses flashées, dans le cadre d'Hadopi.
Affaire à suivre ...

http://www.pcinpact.com/actu/news/59056-maxime-lombardini-hadopi-indemnisation-identification.htm

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