[Focus] Halal : Les stratégies des marques pour avoir "l'argent du beur"


A l'heure où l'on parle en France "identité nationale" et considération des communautés diverses et variées, un autre sujet revient souvent sur le devant de la scène, d'autant plus que la période du Ramadan vient de s'achever : le halal. Tout le monde se souvient de la levée de boucliers lorsque le "restaurant" Quick de Roubaix décidait de ne vendre que des produits Halal. Le maire de la ville avait alors porté plainte contre la chaine de restaurant pour « discrimination » et menacé de saisir la Halde (Haute autorité de lutte contre les discriminations). De tous bords, les politiques s'étaient affolé, attisant ici ou là les guerres identitaires. D'un côté certains criaient à l'islamisation de la France, de l'autre Quick prônait au contraire l'ouverture, et des restaurants où "tous peuvent déguster un produit strictement identique sans déranger personne". Depuis, les débats se poursuivent, et d'autres marques tentent de profiter de cette nouvelle aubaine.

Suite à l'expérience menée du 30 novembre 2009 au 31 mai 2010 dans huit restaurants dont celui de Roubaix, Quick a annoncé fin août son intention de tripler le nombre de ses restaurants proposant de la viande halal* en France (soit 22 sur un total de 358), qui semble-t-il rencontrent un vif succès : en moyenne, les restaurants "pilotes" ont vu en moyenne un doublement de leurs ventes sur la période de test. Le ministre de l'Agriculture, Bruno Le Maire, a estimé que "le marketing ethnique allait contre les valeurs de la France". Jacques-Edouard Charret, PDG de Quick déclarait lui lors du conférence de presse : "On est sur un marché très concurrentiel, on est clairement challenger et c'est un moyen de gagner des parts de marché par rapport à un concurrent". Au-delà des débats politiques, on est bien face à une stratégie purement commerciale, basée sur la mine d'or que constitue ce nouveau marché...


Le marché halal représente 5,5 milliards d'euros par an

La réalité est donc là : le Halal, c'est le nouvel Eldorado des marques. Selon une étude de l'Ifop parue en août, le halal concerne plus de trois millions de consommateurs qui représentent selon lui un chiffre d'affaires de 4,5 milliards d'euros de chiffre d'affaires (l'Institut Xerfi estime lui le potentiel à 5,5 milliards d'euros...), contre 2,6 milliards pour l'alimentation bio, avec un potentiel de croissance annuelle estimé à 20% ! Un marché où vivent quelque cinq millions de musulmans, soit la plus grande communauté d'Europe, pesant le double de celui du bio, normal que chacun cherche à se greffer dessus !


Le flou du marché fait émerger de nouveaux prédicateurs 

Apposer un logo halal sur un produit, "c'est une porte qu'on essaie d'ouvrir, une manière d'attirer l'oeil du consommateur musulman", concédait pour Reuters Cheikh Al Sid Cheick, assistant du recteur de la Mosquée de Paris. "Mais n'importe qui ne peut pas faire n'importe quoi. Il faut un cahier des charges unique, une certification unique et un logo unique", plaide-t-il. Pour la sociologue Dounia Bouzar, le marché halal est victime de son succès. Elle déclarait elle aussi sur Capital.fr "On assiste à des dérives purement mercantiles parce que certains ont bien vu les possibilités de profit", déplorant que le qualificatif "halal" soit aujourd'hui accolé à toutes sortes de produits alors qu'il devrait être réservé à la viande. Sous l'influence de ceux que Dounia Bouzar appelle les "nouveaux prédicateurs", on a "des générations entières qui croient que si elles ne mangent pas halal elles iront en enfer".
Ainsi, plusieurs entreprises ont développé des lignes entières de produits, cosmétiques, conserves, surgelés, etc. ne contenant pas forcément de viande.


La ruée des marques

Ce mois-ci, le magazine Management mettait en lumière la stratégie de Nestlé pour s'implanter sur ce marché, par l'intermédiaire de ces marques Maggi et Herta. Aujourd'hui, le business est contrôlé par de petites marques indépendantes, telles Isla Délice, Médina ou Dounia. Nestlé, pourtant leader au niveau mondial sur ce créneau a mis longtemps avant de s'attaquer au marché hexagonal du halal. Dans Management, Jean-Christophe Despres, président du cabinet de conseil Sopi explique cela en partie par le mode de commercialisation très ciblé des produits : "Les premières générations d'immigrés achetaient surtout dans les boucheries certifiées (...) et complétaient leurs courses sur les marchés et les épiceries de quartier." En 2010, le marché a changé, d'abord parce qu'il est porté aujourd'hui par es moins de 40 ans, des jeunes de la deuxième ou troisième génération possédant la culture des hypers et des grandes marques.

Partant de ce constat, la filiale française de Nestlé lançait en 2006 un département ethnique. "Après une étude qui nous a confirmé le potentiel du marché, nous avons décidé de développer des gammes spécifiques sous les marques Maggi et Herta afin de profiter de leur notoriété" explique le directeur de ce pôle, Bruno el-Kasri. Cette stratégie dénote sur le marché de l'alimentaire, les concurrents de Nestlé préférant s'abriter derrière des marques "écran" : LDC, numéro 1 de la volaille (Loué, Le Gaulois...) a lancé le label Réghalal en 2008, tandis que Panzani rachetait la même année les raviolis Zakia. Le risque de voir le sujet virer à la polémique communautariste ? Nestlé assume et offre aujourd'hui une gamme large de produits (40 produits ont vu le jour en 3 ans), allant des lasagnes aux pizzas, en passant par divers plats cuisinés.

Au final le surcoût de production (chaînes de fabrication dédiées et séparées) semble justifié au vu des chiffres de ventes, qui ont poussé entre autres Auchan et Casino a suivre la même voie. Ce dernier a même lancé sa propre marque distributeur, Wassila.


Des stratégies différentes, sans jamais faire trop de bruit...

D'un côté donc, des marques écrans (Wassila, Réghalal, Zakia, etc.). De l'autre, Nestlé qui capitalise sur l'image de Maggi et d'Herta ("Mais t'avais dit qu'on ferait des Knackiiiiiiis !!!!) pour vendre au plus grand nombre des knackis sans porc ou des lasagnes. Dans le premier cas, on cantonne la cible dans un registre communautaire, dans le second, on joue l'intégration sur le credo "les grandes marques pour tous". Mais même si Nestlé semble endosser le rôle de pionnier en la matière, leur com reste discrète, se cantonnant pour le moment aux magazines identitaires (Gazelle, Amina...), alors que Zakia Halal au contraire s'offre des spots en prime sur TF1... Pour Management, cela veut dire que le géant suisse "veut l'argent du beur, pas forcément son image"... Mais Labeyrie, Fleury Michon ou Pierre Martinet arrivent sur le marché et risquent de bousculer la communication de Nestlé pour se faire entendre.

* Commercialiser de la viande halal, "ce qui est permis" en arabe, suppose que les bêtes soient égorgées en direction de La Mecque, qu'elles soient vidées de leur sang et que le sacrificateur prononce une prière au moment de l'abattage.
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Sources :

- Management N°178, Septembre 2010 - "Nestlé veut dévorer le marché du halal" , par Emmanuel Botta
- Capital.fr : Ici, et
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